Extérieur nuit

Elle s'avance timide, colorant en petites touches discrètes

Les rues encore vides, l'air du soir déjà frais,

La Nuit Lilloise s'élance comme en talons sur les pavés.

Samedi soir, soir de match, l'esprit est à la fête.

La radio murmure. Prise d'écoute, les patrouilles s'égayent.

L'opérateur-Dieu me parle ? Ce n'est que le vent dans les réseaux.

Il faut s'élancer dans la nuit qui ne nous appartient plus

Prêter le flanc aux dangers et aux charmes de l'imprévu.

Coupe du monde oblige, les chefs ont vu les choses en grand,

La ville est quadrillée. L'hypercentre, cas typique :

Des flics fliquent des flics qui fliquent des flics.

Tandis qu'Albion se bâfre de kebabs dégoulinants.

Vingt trois heures-une heure, la bal des fous bat son plein.

Trois cônes de Lübeck ivres lèchent les vitrines Vuitton

Trente étudiants s'agglutinent dans une étroite maison

Chapeaux ridicules avec en-but et p'tit ballon

Fausses moustaches qui pendouillent, bérets, baguettes en carton

Les chaussures à bascule se multiplient comme des petits pains

Comme si en ville, l'eau courante était changée en vin

- Priorité sur les ondes ! La BAC demande les pompiers,

Un anglais a chuté, coup de poing, crâne sur le trottoir

Las, silence radio - la tension est figée, l'attention exigée

Puis le souffle se relâche, l'inconscient veut à boire

Sur la bande FM, Bashung s'élance, Immortel.

"Je ne t'ai jamais dit mais nous sommes immortels

Pourquoi es-tu parti avant que je te l'apprenne ?

Le savais-tu déjà ? Avais-tu deviné ?

Que des dieux se cachaient sous des faces avinées ?"

On est un con, et ce soir il carbure pas mal.

On interpelle le Paki vendeur de rose pour commerce illégal

On évince sur la place le chien bruyant et son marginal

Lui repart en foyer quand s'échappe l'animal.

On parle pendant une heure, parvient à l'attraper,

On l'escorte en vain, échappant aux bergers ;

Malin malinois, va donc retrouver ton maître,

La SPA requise n'interviendra jamais.

On rudoie, parle pour rien dire, demande sa pause

Tandis que nous écoutons, attentifs et morose,

Les secondes s’égrener, la ville se replier.

On restera roder encore pour quelques heures,

Mais ce sera sans nous, on aura trop marché

Pour rien, dix mille pas pour du beurre.

Sans remord je m'échapperai vite, filant dans la nuit,

Retrouver l'Amour, les livres, le calme, la vie

La paix des ménages, la main tendue d'un ami

Sisyphe oublieux d'un tel voyage au bout de l'ennui.